Une année de bandes dessinées sur le territoire francophone européen
par Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD
- Production – Toujours plus : 4746 livres de bande dessinée ont été publiés en 2008 (dont 3592 strictes nouveautés), soit une progression (pour la 13ème année consécutive) de 10,04%.
- Édition – Concentration et vitalité : 15 groupes dominent le secteur avec plus de 70% de la production, alors que pas moins de 265 éditeurs ont publié des bandes dessinées en 2008.
- Optimisation : 95 séries (5 de plus qu’en 2007) ont bénéficié d’énormes mises en place et ont continué à se placer parmi les meilleures ventes, tous genres de livres confondus.
- Traduction : 1856 bandes dessinées étrangères (dont 1411 venues d’Asie et 292 des États-Unis) ont été traduites : un bond de 69 titres (soit 3,86%) contre un recul de 0,67% en 2007.
- Adaptation : les œuvres littéraires sont de plus en plus adaptées en bande dessinée (154 nouveautés en 2008) et le 9e art inspire toujours davantage les autres moyens d’expression.
- Prépublication : la presse de bande dessinée semble souffrir de la concurrence d’Internet (gratuité et nouveaux terrains créatifs), en dépit de la présence de 71 revues spécialisées.
- Consécrations et médiatisation : 201 œuvres datant de plus de 20 ans ont été rééditées ; et de plus en plus d’auteurs de bande dessinée, parmi les 1416 qui vivent de leur métier sur le territoire francophone européen, obtiennent régulièrement l’honneur des médias.
Bilan téléchargeable avec annexesCrédits et remerciements
N.B. : la moindre utilisation de ces données ou d’une partie d’entre elles doit être obligatoirement suivie suivie de la mention : © Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée).
I – PRODUCTION
Toujours plus : 4746 livres de bande dessinée ont été publiés en 2008 (dont 3592 strictes nouveautés), soit une progression (pour la 13ème année consécutive) de 10,04%.
Pour la 13ème année consécutive, la production de bandes dessinées est encore en nette progression : 3592 nouveaux albums (soit 75,68% du total des livres concernés par cette spécialité) ont été diffusés dans les librairies francophones en 2008 (contre 3312 et 76,79%, en 2007) !
Le livre, dans son ensemble, résiste, mieux que d’autres secteurs, au contexte économique général durci par l’importante crise financière mondiale : même si son marché a connu, en 2008, à partir de la fin du printemps, un net ralentissement (source : Livres Hebdo/I+C). La bande dessinée, dont la diversité des catalogues est un atout majeur, et qui représente environ 6,5% du chiffre d’affaires de l’édition, reste, avec la jeunesse, l’un des secteurs les plus dynamiques. Si les premiers signes de morosité ont commencé à se faire sentir, au premier trimestre notamment, il faudra attendre le début de 2009 pour affiner le bilan économique 2008 de ce secteur, d’autant que les trois derniers mois, et surtout décembre, pèsent très lourd dans son économie.
Malgré ces prudentes constatations, nous sommes loin d’un discours annonciateur de crise puisque le secteur développe toujours une énorme activité secondaire ou dérivée. Surtout en ce qui concerne les exploitations cinématographiques et publicitaires du 9e art (cinéma, télévision, dessins animés, jeux vidéo, Internet et autres applications récentes de l’industrie numérique), lesquelles stimulent plus que jamais la consommation des bandes dessinées et inversement, tout en offrant de nouvelles sources de revenus aux éditeurs et aux auteurs. Les différents acteurs ont même été assez réactifs devant les éventuels dangers d’une baisse des chiffres d’affaires puisque, d’après Livres Hebdo, la fréquentation des commerces de livres (tous genres confondus) reste bonne et que, selon la Fevad, la vente des produits culturels sur Internet (qui favorise une visibilité des stocks que ne permet plus la librairie) a continué de progresser : une aubaine au moment où la grande distribution, de son côté, connaît une forte baisse des ventes de ces produits, bandes dessinées comprises, fragilisant ainsi, légèrement, les éditeurs « classiques ».
Cependant, il faut bien reconnaître que les différents publics conquis par la bande dessinée au cours de ces dix dernières années ont quand même toujours tendance à se rabattre sur les valeurs sûres (qui bénéficient, en priorité, des campagnes de communication ou d’exploitation dérivées), et qu’ils n’ont que peu de curiosité pour des domaines qui ne sont pas, a priori, proches de leurs préoccupations : l’heure n’est donc pas à l’expérimentation et à la prise de risque, surtout en ces temps incertains, économiquement parlant…
Pourtant, il est évident que, ces dernières années, c’est l’exploitation des nouvelles niches commerciales qui a permis (et qui permet toujours), aux éditeurs, de gagner de nouvelles parts de marché : ces derniers ne doivent donc pas se contenter de satisfaire les 4 principaux lectorats :
– celui des séries asiatiques : 1453 nouveaux mangas, manhwas, manhuas et assimilés sont parus en 2008, soit 40,45% des nouveautés (contre 1428 et 43,12%, en 2007)
– celui des albums franco-belges : 1547 titres parus en 2008, soit 43,07% (contre 1338 et 40,39%, en 2007)
– celui des comics américains : 240 recueils parus en 2008, soit 6,68% (contre 227 et 6,85%, en 2007)
– celui des romans graphiques : 353 livres parus en 2008, soit 9,83% (contre 319 et 9,63%, en 2007)
Même si les catégories habituelles proposées par les éditeurs sont toujours aussi difficiles à recenser, 1271 albums, soit 66,89% des nouveautés hors mangas et comics, s’inscrivent dans des séries (contre 839 en 2007). Voilà qui permet la répartition suivante où l’on constate que tous les genres progressent, sans exception :
– l’humour avec 527 albums proposés (27,74% du secteur), contre 324 l’an passé
– l’Histoire avec 297 albums (15,63% du secteur), contre 196 en 2007
– les thrillers et autres polars avec 283 albums (14,89% du secteur), contre 182 précédemment
– le fantastique avec 267 albums (soit 14,05% du secteur), contre 233 en 2007
– les ouvrages destinés aux plus petits avec 173 albums (soit 9,11% du secteur), contre 80 l’an passé
À ces 3592 nouveaux albums jamais encore édités sous cette forme, il faut ajouter :
– 821 rééditions (soit 17,3% de l’ensemble des parutions bandes dessinées) sous une nouvelle présentation ou éditions revues et augmentées : contre 712 et 16,5% en 2007, soit 109 titres de plus.
– 271 Art books et recueils d’illustrations (soit 5,71% de l’ensemble des parutions bandes dessinées) réalisés par des auteurs de bandes dessinées : contre 204 et 4,73% en 2007, soit 67 titres de plus.
– 62 essais (soit 1,31% de l’ensemble des parutions de bandes dessinées) : contre 85 et 1,97% en 2007, soit un recul de 23 titres.
Nous arrivons ainsi à un total de 4746 livres appartenant au monde du 9e art (4313 en 2007) : soit une augmentation de 433 titres (10,04%), pour 183 et 4,4% en 2007. Ceci représente 7,91% de la production des livres édités sur le territoire francophone européen (pour 7,2% en 2007) : environ 60 000 livres ayant été publiés en 2008.
Depuis cinq ans, cette croissance profite surtout aux plus puissants éditeurs (ils ont publié 2657 nouveautés – contre 1018 en 2007 –, soit 73,97% du secteur) au détriment de la « petite » édition qui, pourtant, progresse encore fortement en 2008, totalisant 936 nouvelles parutions (contre 613 en 2007), soit 26,06% du secteur.
Concentration et vitalité : 15 groupes dominent le secteur avec plus de 70% de la production, alors que pas moins de 265 éditeurs ont publié des bandes dessinées en 2008.
Certes, les opérateurs littéraires (Actes Sud, L’Atalante, Calmann-Lévy, Hors Collection, Laffont, La Martinière, Le Seuil…) et les acteurs de l’édition jeunesse (Bayard, Calligram, Joie de Lire, Lito, Magnier, Max Milo, Milan, Petit à petit, Sarbacane, Toucan…), ainsi que les moyennes structures aux politiques d’édition classiques (Adonis, Akileos, Assor BD, Le Cycliste, Daric, Des Ronds dans l’O, EP, Flouzemaker, Le Gang, Graton, Grrr… Art, Hugo BD, Idées +, Imbroglio, Joker, JYB, Lécureux, Marsu, Mosquito, Nickel, Paquet, Pavesio, Pire, P’tit Louis, Septième Choc, Tabary, Tartamudo, Theloma, Wygo, Zéphyr…), ont revu à la baisse leur production.
Certes, les petites structures alternatives (L’Association, Atrabile, La Boîte à Bulles, çà et là, La Cafetière, Cambourakis, La Cerise, La 5ème Couche, Cornélius, Diantre !, Ego comme X, L’Employé du moi, Les Enfants Rouges, Flblb, FRMK, Groinge, Le Lézard Noir, PLG, Rackham, Les Requins Marteaux, Les Rêveurs, 6 Pieds sous Terre, Vertige Graphic, Warum…) se sont radicalisées, essayant d’être plus pointues et exigeantes pour toucher un autre lectorat : ainsi, l’un des principaux acteurs de ce microcosme, le diffuseur Le Comptoir des indépendants, cherche la diversification, en même temps qu’un positionnement, en s’ouvrant aux éditeurs d’art contemporain !
Mais ces bouleversements ne sont pas contradictoires avec une atomisation de l’activité puisque, en 2008, 265 éditeurs différents ont publié des albums de bandes dessinées : soit 11 de plus qu’en 2007, dont Fusion Comics, un label de comics au carrefour du divertissement grand public qui a été créé, à parts égales, par Soleil et Panini, 12 bis dû à l’initiative de deux ex-dirigeants de Glénat, IceBerg dirigé par Didier Pasamonik, les albums du galeriste Daniel Maghen, et Les Échappés qui appartiennent au magazine Charlie Hebdo. Paradoxalement à cette diversification structurelle, seuls 15 groupes concentrent, à eux seuls, 2/3 des activités, soit plus de 70% de la production.
Consolidation, rationalisation et concentration sont plus que jamais d’actualité : à l’exemple du groupe Glénat qui, après avoir acheté le catalogue bandes dessinée d’Albin Michel (finalement rebaptisé Drugstore) et relancé L’Écho des Savanes, a repris le label Treize Étrange jusqu’alors dans le giron de Milan. Le dynamique groupe Glénat, qui est le 2ème du secteur en chiffre d’affaire, a publié 380 titres sous son propre label ou sous ses filiales Glénat Mangas, Caravelle, Vents d’Ouest et Drugstore – soit 8,01% (contre 295 et 6,84% en 2007).
Ce n’est pourtant pas le plus gros producteur de 2008 puisqu’en publiant 627 titres sous ses filiales Dargaud, Kana, Le Lombard, Dupuis, Blake et Mortimer, Lucky Comics, Le Caméléon et Fleurus – soit 13,21% de la production (pour 474 et 10,99% en 2007), Média Participations nous rappelle qu’il est toujours à la 5ème place du marché du livre tous genres confondus (même s’il pèse 7 fois moins que le leader qu’est le groupe Hachette : plus de 20% du marché du livre, à lui tout seul) et qu’il contrôle 40% de l’économie de la bande dessinée francophone : à défaut d’avoir pu racheter Éditis (le 2ème plus gros groupe d’édition passé sous la houlette de l’Espagnol Planeta) !
La maison Delcourt (et ses filiales Akata et Tonkam, laquelle célèbre déjà ses 15 ans d’existence) consolide sa bonne position en publiant un peu moins de titres qu’en 2007 (479, soit 10,09%, contre 484 et 11,22% l’an passé). Pour Livres Hebdo et Ipsos, il est le 4ème plus important éditeur de bandes dessinées francophones en chiffre d’affaires, alors que pour GfK, l’institut d’informations marketing concurrent, il monte sur la 3ème place du podium !
Ils sont talonnés, autant sur le plan économique qu’en production par le groupe MC Productions. Ce dernier (qui s’est retiré du capital de la SEEBD, avant que ce groupement spécialisé dans la traduction de manhwas ne dépose le bilan, ayant quand même sorti 50 albums dans l’année) a publié 347 titres sous ses filiales Soleil, Quadrant Solaire, Soleil Manga, Fusion Comics et Iku comics – soit 7,31% de la production (contre 428 et 9,92% en 2007).
Dans le quintet de tête, il faut bien sûr compter sur les filiales Casterman, Fluide Glacial, Jungle et Librio du groupe Flammarion (qui dépend du groupe de communication italien RCS), lesquelles ont publié 323 titres – soit 6,8% (contre 316 et 7,33% en 2007) – et revendiquent, selon les sources, la 3ème ou la 4ème place du secteur !
Juste après, il ne faut pas oublier les éditions Albert-René (dont la principale activité est l’exploitation d’Astérix) que vient de s’offrir le groupe Hachette Livres, lequel a publié 172 titres sous son propre nom ou sous ses autres filiales Pika, M6, Lambert et Disney Hachette – soit 3,62% (contre 133 et 3,08% en 2007) –, ainsi que deux groupes qui sont toujours en croissance, autant du point de vue économique que de l’activité :
– Panini qui a publié 279 titres sous ses labels Manga et Comics – soit 5,88% (contre 250 et 5,8% en 2007).
– Bamboo qui fête ses 10 ans avec 129 titres grand public – soit 2,72% (contre 123 et 2,85% en 2007).
Loin derrière ces 9 ténors du marché, notons quelques outsiders comme les éditeurs de mangas Asuka (124 titres – soit 2,61%, contre 55 et 1,27% en 2007), Taïfu (72 titres – soit 1,52%, contre 92 et 2,13% en 2007) ou Kurokawa, la filiale du groupe Éditis avec 68 titres – soit 1,43% (61 et 1,4% en 2007), le groupe Tournon (Carabas, Semic et Kami) avec 100 titres – soit 2,11% (contre 125 titres et 2,9% en 2007), le groupe Gallimard avec 78 titres sous son propre label ou sous ses filiales Futuropolis (détenue à 50% avec Soleil), Denoël Graphic et Hoëbeke – soit 1,64% (contre 51 et 1,23% en 2007), Les Humanoïdes associés (leur redressement judiciaire, qui a entraîné le transfert vers d’autres éditeurs de quelques auteurs, s’achemine probablement vers une issue positive) avec 73 titres – soit 1,54% (contre 100 et 2,32% en 2007) ou encore Clair de Lune avec 55 titres – soit 1,16% (contre 32 et 0,74% en 2007).
95 séries (5 de plus qu’en 2007) ont bénéficié d’énormes mises en place et ont continué à se placer parmi les meilleures ventes, tous genres de livres confondus.
L’un des discours récurrents des éditeurs est de revendiquer le fait que les bénéfices obtenus avec les albums qui se vendent le mieux permettent de financer, voire d’amortir, ceux qui sont plus risqués financièrement. Comme nous avons la faiblesse de les croire, c’est avec optimisme que nous constatons qu’en 2008, 95 séries ont été tirées à plus de 50.000 ex.
D’après les chiffres communiqués par les éditeurs, les plus gros tirages (hors mangas) de 2008 sont :
– Titeuf de Zep (1.832.000 ex.)
– Blake et Mortimer de Yves Sente et André Juillard (600.000 ex.)
– Lucky Luke de Laurent Gerra et Achdé (535.000 ex.)
– Largo Winch de Jean Van Hamme et Philippe Francq (490.000 ex.)
– Le Chat de Geluck (320.000 ex.)
– Thorgal de Sente et Rosinski (300.000 ex.)
– Lanfeust des étoiles de Christophe Arleston et Didier Tarquin (300.000 ex.)
– Cédric de Raoul Cauvin et Laudec (273.000 ex.)
– XIII Mystery de Xavier Dorison et Ralph Meyer (253.000 ex.)
– Les Profs d’Erroc et Pica ou Les Bidochon de Christian Binet (200.000 ex.)
Viennent ensuite Game Over de Midam, Adam et Laurent Noblet (180.000 ex.), Les tuniques bleues de Raoul Cauvin et Willy Lambil (167.000 ex.), Trolls de Troy de Christophe Arleston et Jean-Louis Mourier, Putain de guerre ! de Jacques Tardi, Le Donjon de Naheulbeuk de John Lang et Marion Poinsot, Les Schtroumpfs du studio Peyo (150.000 ex.), Les Nombrils de Dubuc et Delaf (146.000 ex.), 2 albums des Blagues de Toto de Thierry Coppée (140.000 ex.)…, et bien d’autres séries – souvent déjà bien établies ou purs produits de marketing – qui contribuent également à la relative bonne santé du marché du 9e art : car ces énormes tirages font de la bande dessinée l’un des secteurs de l’édition les plus dynamiques de 2008. Mais comme les fortes mises en place sur les nouvelles séries et sur les albums plus singuliers sont de plus en plus difficiles à réaliser dans les 26.000 points de ventes potentiels, les éditeurs renforcent plus que jamais leur politique de marques…
D’après l’hebdomadaire professionnel Livres Hebdo, si le 1er trimestre 2008 aurait été médiocre, le rebond constaté au cours du 2ème trimestre s’est confirmé durant tout l’été (ainsi qu’en septembre), avec 5% de croissance. Ce phénomène est surtout visible dans les grandes surfaces culturelles où l’on trouve plus facilement « blockbusters » et mangas, ouvrages privilégiés par le système actuel. En effet, le marché du livre met toujours en avant la nouveauté au détriment du fonds, ce qui n’empêche pas les éditeurs de multiplier les rééditions : en 2008, 213 intégrales (246 en 2007), 149 tirages de luxe (86 en 2007) et 103 éditions à petit prix (79 en 2007) ont été publiés.
Notons que du côté des mangas, la situation est pratiquement toujours la même : seules 9 séries (publiées chez 5 éditeurs, seulement) assurent plus de la moitié des ventes dans leur globalité, Naruto en tête avec son tirage de 220.000 ex. pour chaque nouveau tome (et il y en a eu 6 en 2008) ! Bien loin derrière, les autres leaders du secteur sont Death Note (5 volumes à 180.000 ex.), Fullmetal Alchemist (4 volumes à 90.000 ex.), One Piece (6 volumes à 72.800 ex.), Fairy Tail (3 volumes de ce nouveau « blockbuster » ont été tirés à 70.000 ex.), Samurai Deeper Kyo (2 volumes à 66.000 ex.), Nana (2 volumes à 60.000 ex.), Bleach (5 volumes à 49.500 ex.), sans oublier Dragon Ball Z dont le manga adapté de l’anime (5 volumes à 70.300 ex.) cartonne toujours !
On peut rétorquer que la plupart de ces chiffres de tirages sont revus à la baisse depuis quelques années, mais il faut savoir que réimprimer coûte beaucoup moins cher qu’autrefois et que les éditeurs, prudents, ajustent au mieux leurs frais. Ceci afin de ne pas trop subir les conséquences du taux des retours qui continuent d’augmenter vu l’inflation de la production ; surtout que l’impact est beaucoup plus lourd qu’en littérature générale, du fait de l’investissement initial plus élevé (couverture cartonnée, pages en couleurs…). Le tirage moyen baisse donc encore et l’écart se creuse toujours entre les « best-sellers » et le peloton des ventes moyennes : lequel doit se situer autour des 6000 exemplaires, en tenant compte l’édition bandes dessinées dans son ensemble.
D’après un compte-rendu du groupement « bande dessinée » au sein du SNAC (Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs), un représentant du principal groupe d’éditions franco-belges aurait précisé que, pour un éditeur comme le sien, le seuil de rentabilité d’un album se situe autour de 5000 ventes : il y a 10 ans, il fallait multiplier ce chiffre par 2 !
D’autre part, comme l’économie du secteur se concentre sur les 4 derniers mois de l’année (d’après les propos du groupe Média Participations auprès du journal Le Monde, c’est même la moitié de leur chiffre d’affaires qui est réalisé pendant cette période). Rien d’étonnant, donc, de constater que la plupart des acteurs du milieu continuent à stigmatiser la surproduction entre septembre et décembre où 1848 albums – soit 38,94% de la production annuelle (contre 1606 et 37,24% en 2007) – ont été mis en place. Et la rentrée bande dessinée commence de plus en plus tôt puisque 235 bandes dessinées ont été diffusées en librairie pendant les 7 derniers jours du mois d’août (contre 284 sur 10 jours en 2007) : une preuve supplémentaire de l’importance des distributeurs dans la chaîne du livre.
1856 bandes dessinées étrangères (dont 1411 venues d’Asie et 292 des États-Unis) ont été traduites : un bond de 69 titres (soit 3,86%) contre un recul de 0,67% en 2007.
Malgré l’effondrement des traductions de manhwas coréens (98 en 2008 pour 130 en 2007), des manhuas chinois (23 pour 74 en 2007), et des ouvrages venus de Taïwan ou d’Inde (2 pour 15 en 2007), la bande dessinée asiatique continue d’alimenter la production avec 1411 albums (contre 1371 en 2007), ce qui correspond à 479 séries traduites (contre 528 en 2007), grâce aux 1288 mangas japonais publiés en français (contre 1152 en 2007).
La fidélité et l’implication d’un lectorat différent (plus jeune et plus féminin), lequel apprécie leur moindre coût, la succession des nouveaux tomes dans des délais très rapprochés et un contenu proche de leurs préoccupations, a permis la progression du manga sur le territoire francophone européen, sans que cela se fasse au détriment des autres segments du marché. Depuis 2005, 1 album vendu sur 3 est d’origine asiatique : mais seuls 9 shônen (séries destinées principalement aux jeunes garçons) ou shôjo (pour les jeunes filles) assurent 50% des ventes du secteur.
Et seulement 7 éditeurs tiennent l’essentiel de l’économie des mangas traduits en français : en terme de parts de marché, Kana est en tête (151 volumes publiés en 2008), suivi par Glénat Mangas (137 volumes), puis, plus loin derrière, par Delcourt (et ses filiales Akata – 94 volumes – et Tonkam – 152 volumes) et par Pika (155 volumes) ; ensuite, le secteur est détenu, dans une moindre mesure, par Kurokawa (68 volumes), Panini Manga (123 albums) et Soleil Mangas (81 volumes). Ces 7 entreprises ayant réalisé plus de 90% des ventes de mangas en volume, elles sont bien armées pour résister à une éventuelle arrivée des éditeurs japonais qui, à la recherche d’un relais de croissance de plus en plus difficile à trouver sur leur marché intérieur, pourraient publier eux-mêmes leurs séries en Europe.
En conséquence, le nombre d’éditeurs francophones publiant des bandes dessinées asiatiques se réduit : on en compte plus que 36 (au lieu de 40 en 2007). Parmi eux, citons les outsiders que sont Asuka, Bamboo (Doki-Doki), Carabas (Kami), Casterman (Sakka, Hanguk et Hua Shu), Clair de lune (Gakko), 12 bis, Ki-oon, Le Lézard noir, Milan (Kankô et Dragons) et Taïfu, ou encore Paquet et Samji (repreneur de certaines séries éditées par la SEEBD) pour la bande dessinée coréenne, et Akileos, Drakosia, Ohayo, Toki et Xiao Pan pour la chinoise. Sans oublier certains généralistes qui se spécialisent plutôt dans le seinen (bande dessinée pour jeunes adultes) à l’instar de Cambourakis, Cornélius, La 5ème Couche, Imho, Vertige Graphic ou Flblb récompensé par le Prix Asie-ACBD 2008 décerné au Visiteur du Sud de Oh Yeong Jin pendant le festival Japan Expo.
Nous assistons aussi à une diminution des rééditions des bandes dessinées venues d’Extrême-Orient (92 au lieu de 138 en 2007) et de ce que certains appellent le « franga », le manga européen ou le « global manga » : c’est-à-dire les tentatives réalisées par les auteurs européens de s’inspirer ouvertement des différents codes graphiques et narratifs des mangas. Les pourtant très dynamiques éditeurs que sont Akiléos, Ankama, Carabas, Delcourt, 12 bis, Les Humanoïdes associés, Paquet, Pika ou Soleil n’en ont publié que 42 (contre 57, l’an passé). Cependant, les styles des jeunes auteurs sont toujours très influencés par les codes graphiques et narratifs des mangas et de plus en plus de graphistes asiatiques illustrent des scénarios d’auteurs francophones.
La passion de ce public assez monomaniaque pour les mangas (anime ou livres) se développe aussi sur Internet (animeland.com, animint.com, mangagate.com, manga-news.com, manga-sanctuary.com, mangaverse.net, mangavore.net, the-ryoweb.com, webotaku.com…) ou dans les 6 essais qui leur ont été consacrés en 2008.
Si, grâce aux mangas, le japonais est devenu la langue la plus traduite en français, l’anglais n’est pas en reste puisque 9 albums proviennent d’Angleterre et 292 des États-Unis, soit 8,13% des nouveautés (contre 253 et 7,64% en 2007). Si les comics mettant en scène les super-héros (X-Men, Spider-Man, Batman, Superman… dont les tirages francophones n’excèdent pas les 40.000 exemplaires) est l’apanage de Panini, multinationale en expansion et leader incontesté de ce secteur, quelques ouvrages ont quand même été édités par d’autres éditeurs plus ou moins spécialisés dans la bande dessinée américaine : tels Akiléos, Les Arènes, Dante, Fusion Comics, Kymera, Réflexions, Semic, Wetta ou même Delcourt (avec ses collections « Star Wars », « Contrebande » et « Outsider »).
Cependant, comics et mangas ne sont pas les seuls fournisseurs de bandes dessinées étrangères. L’Italie, avec ses « fumetti » (bandes dessinées populaires en petit format et en noir et blanc) que tentent de relancer les éditions Clair de Lune et Mosquito, les deux principaux éditeurs à traduire les représentants du 9e art transalpin, a fourni le contenu de 57 albums en 2008 (contre 63 l’an passé).
On dénombre aussi 28 bandes dessinées d’origine espagnole (contre 24 en 2007), 17 hollandaises, 12 argentines, 7 finlandaises, 6 israéliennes, 2 allemandes, autrichiennes, brésiliennes, mexicaines, suédoises… Soit, au total, 1856 traductions – c’est-à-dire 51,67% des nouveautés (contre 1787 et 53,95%, en 2007) –, venant de 27 pays différents.
Remarquons aussi l’activité accrue de la bande dessinée francophone à l’export grâce au succès remporté, à l’étranger, par nos romans graphiques, dont le lieu de vente de prédilection est la librairie généraliste. Leur forme, qui se rapproche de celle des mangas au format beaucoup plus économique que l’album cartonné, s’est finalement imposée à l’international. Les efforts des éditeurs à l’exportation sont donc constants, à l’instar de ceux de Soleil qui s’est associé au géant américain des comics Marvel ou des Humanoïdes associés qui se sont alliés à Devil’s Due Publishing, éditeur connu pour ses adaptations de séries d’action ou de films d’horreur en comics.
Les œuvres littéraires sont de plus en plus adaptées en bande dessinée (154 nouveautés en 2008) et le 9e art inspire toujours davantage les autres moyens d’expression.
La bande dessinée franco-belge a toujours été d’une extraordinaire richesse : l’augmentation continuelle du nombre de sorties et la segmentation de l’offre permettent de continuer à recruter davantage de lecteurs et de conquérir de nouveaux marchés. Si la tendance de l’adaptation et mise en images des classiques de la littérature et du théâtre, déjà importante l’an passé, se poursuit avec de nouvelles collections comme « Rivages/Casterman/Noir » ou « Cherche Futurs » chez Soleil (en 2008, 154 titres résultent d’une adaptation, soit 4,29% des nouveautés contre 96 et 2,9% en 2007), la plupart des éditeurs continuent d’explorer de nouveaux territoires ou niches éditoriales.
Ainsi, nous constatons une multiplication des diptyques (59 récits divisés en 2 albums : ce qui donne l’impression de coûter moins cher que s’ils étaient proposés en 1 seul volume) alors que les albums indépendants ont toujours leurs adeptes, comme le prouve la collection « Aire Libre » chez Dupuis : elle existe depuis 20 ans, déjà !
Si on note un timide retour de la bande dessinée érotique grâce à quelques éditeurs (Dynamite, Tabou, Le Gang ou encore Pika avec le didactique manga Step up, Love Story de Katsu Aki et Delcourt avec l’imposant comics Filles perdues de Melinda Gebbie et Alan Moore) qui tentent de faire rejaillir la source affaiblie par l’Internet et la censure, le phénomène remarquable de 2008 est le développement marqué de la bande dessinée francophone à destination des filles ! D’après une étude du Centre National du Livre sur les collégiens et lycéens en 2007, 45% des filles (pour 27% des garçons) ne lisent jamais ou presque jamais de bandes dessinées : cela risque de changer avec les 68 nouveaux produits calibrés pour conquérir le public féminin parus en 2008 (collection « Bulles de filles » chez Dargaud et de nombreux titres chez Bamboo, Delcourt, Diantre !, Dupuis, Fleurus, Gawsewitch, Glénat, Paquet…).
C’est cette incessante vitalité qui permet au 9e art d’être toujours autant courtisé par les autres médias, lesquels l’utilisent de plus en plus comme source d’adaptation. Et comme le poids commercial des droits dérivés ou des déclinaisons (animations, films, romans…) grossit tous les ans, il n’est pas étonnant que ce soit un sujet brûlant sur lequel éditeurs (le groupe BD du Syndicat National de l’Édition) et auteurs (groupement « Bande dessinée » du Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs) n’arrivent pas à se mettre d’accord.
En effet, comme le précise avec humour Jean Van Hamme, le scénariste de Largo Winch et de XIII (séries dont les récentes versions cinématographiques et télévisuelles, en coproduction avec Média Participations, ont été plébiscitées par les spectateurs), aux journalistes Olivier Delcroix (Le Figaro) et Manuel F. Picaud (Auracan.com) : « L’argent est sur l’écran » ! Pas que sur l’écran d’ailleurs, mais aussi dans toutes les industries du loisir (cinéma, télévision, dessins animés, jeux vidéo, musique, Internet…) qui, certes, exploitent le filon, mais amènent aussi de nombreux lecteurs à la bande dessinée. Les éditeurs ne s’y trompent pas et on remarquera qu’en 2008, ils sont nombreux à se positionner dans ce sens :
– Ankama, société qui a explosé grâce à leur jeu vidéo en ligne, entre dans le capital de la chaîne de télévision Nolife (orientée jeux vidéo et culture japonaise) et signe avec Microsoft, tout en diversifiant sa production.
– Delcourt a acquis une participation majoritaire dans le capital de la société RG Square (spécialisée dans les films et séries d’animation japonais) pour mettre en commun leurs expériences d’édition et en audiovisuel.
– EP (Emmanuel Proust) a quitté La Martinière pour poursuivre son développement adossé à MK2, le groupe de production et de diffusion de Marin Karmitz, via la SARL Heupé, et réfléchir à des synergies communes.
– Glénat s’associe à EuropaCorp, la société du réalisateur et producteur Luc Besson, pour créer Europa Glénat, une « joint-venture » détenue à parts égales entre les deux groupes) qui gérera les droits d’adaptation audiovisuelle des bandes dessinées au catalogue de l’éditeur grenoblois, ceci autant au cinéma qu’à la télévision (telle la série Disparitions qui sort simultanément en album et en téléfilm sur France 3).
– Nocturne, éditeur musical, multiplie les produits qui mélangent, allègrement et qualitativement, bandes dessinées et CD : employant ainsi de nombreux illustrateurs et scénaristes connus ou débutants.
– Panini (qui n’a plus les droits des Simpson passés chez Jungle) a passé un accord avec la Warner Bros pour adapter leurs cartoons en albums.
Évidemment, le chiffre d’affaires de la bande dessinée francophone (estimé à 320 millions d’euros par Ipsos et Livres Hebdo) fait pâle figure face à ceux des jeux vidéo (2,4 milliards d’euros d’après GfK) ou de l’industrie musicale (2,3 milliards d’euros d’après Le Monde), sans parler de celui du cinéma et de la télévision : mais nous ne sommes certainement qu’aux prémices des développements et propositions de transversalité pour le 9e art ! Au Japon, par exemple, la bande dessinée sur téléphone mobile et l’usage numérique de la bande dessinée est entré dans une phase industrielle, alors qu’en Europe nous n’en sommes encore qu’au stade expérimental !
Cela n’empêche pas les images de bandes dessinées de se retrouver dans 271 recueils d’illustrations, dont 68 recueils de dessins d’humour et 61 textes illustrés, ou de triompher dans les salles de ventes : les originaux d’Hergé (une couverture de Tintin s’est arrachée à 764.200 € et un dessin noir et blanc à 167.300 €), d’Albert Uderzo (une planche d’Astérix vendue 312.500 €), d’Hugo Pratt (un portrait de Corto Maltese adjugé à 250.000 €), de Philippe Druillet (2 planches à 206.500 €), d’Enki Bilal, d’André Franquin ou d’Edgar P. Jacobs y battent régulièrement des records, se faisant une place de choix sur le marché sélectif de l’art avec un grand A !
La presse de bande dessinée semble souffrir de la concurrence d’Internet (gratuité et nouveaux terrains créatifs), en dépit de la présence de 71 revues spécialisées.
18 magazines, diffusés en kiosques, proposent des créations de bandes dessinées européennes (24 en 2007), mais seuls les titres bien identifiables arrivent à fidéliser un public qui se laisse facilement séduire par les nombreux autres supports de divertissement à sa disposition : Internet, jeux vidéo et DVD en tête ! Les hebdomadaires pour enfants comme Le Journal de Mickey ou Spirou annoncent pourtant des chiffres de tirage, certes en ralentissement, mais qui restent confortables (respectivement 185.000 et 100.000 ex. au numéro), profitant d’un important portefeuille d’abonnés : pas moins de 100.000 pour Le Journal de Mickey. Pour comparaison, voici les tirages de 2 titres jeunesse édités par Bayard : Astrapi avec 95.700 ex. et Okapi avec 81.850 ex.
En ce qui concerne les mensuels, le bilan varie suivant les titres, lesquels sont tous destinés à un large public : qu’il soit adulte (Fluide Glacial avec 120.000 ex. au n°, L’Écho des Savanes avec 80.000 ex., Psikopat fêtant son 200ème n° avec 50.000 ex. et le bimestriel Cargo Zone et ses 45.000 ex., lequel s’accorde une pause réparatrice pour mieux repartir en 2009) ou plus jeune (Picsou Magazine avec 185.000 ex., Lanfeust Mag avec 40.000 ex., plus 70.000 ex. pour la version Pulp en petit format créée cette année, Pif Gadget avec 80.000 ex., Tchô avec 76.844 ex.…, sans oublier les bimestriels Super Picsou Géant avec 252.800 ex. et Mickey Parade Géant avec 187.600 ex.).
Les journaux principalement composés de licences voguent désormais, du moins pour 90% (89,6% en 2007) d’entre eux, sous la bannière du groupe Panini, principal éditeur de bandes dessinées en kiosques en France ! Ceux proposant des bandes dessinées issues de la Warner (Bugs Bunny, Scooby-Doo !, Titi & Grosminet et Tom & Jerry) sont tirés entre 35 et 100.000 ex. au n°, alors que les 26 fascicules (il y en avait 29 en 2007) avec des comics américains super-héroïques se situent entre 20.000 et 30.000 ex. C’est le cas pour ceux utilisant les marques Marvel ou DC (Spider-Man, X-Men, Wolverine, Fantastic Four, Hulk, Ultimates, Icons, Universe, Heroes, Batman, Superman, 52…), comme pour ceux appartenant à Delcourt : Spawn (22.000 ex.) et Star Wars (33.000 ex.). À noter que les aficionados des super-héros ont aussi leurs revues (Comic Box, Scarce…) et leurs sites spécialisés (comicsplace.net, comics-search-engine.com, comicsvf.com, france-comics.com, superpouvoir.com…).
En ce qui concerne les revues sur les mangas (AnimeLand, Coyote, Dofus Mag, Geisha, Hard Manga, Japaneko, Made in Japan, Manga Kids, Maniak !, Planet Manga, Score Asia…), les tirages sont parfois plus importants, mais ces magazines se consacrent bien plus souvent à l’anime et aux jeux qu’à la bande dessinée.
Quant aux revues commentant l’actualité du 9e art (diffusées dans le réseau presse), le créneau étant très restreint, elles ne sont plus que 2 : [dBD] avec 22.000 ex. au n° et le nouveau venu qu’est CaseMate avec 30.000 ex au n°. BoDoï, quant à lui, a préféré passer en version numérique, excepté pour quelques n° réservés à un événement bien particulier, comme le fait Pilote qui s’est une nouvelle fois amusé à revenir en lançant un pavé en mai (tirage 110.000 ex. pour 60.000 ventes nettes) ou comme le font les éditions Soleil avec un Lanfeust Mag spécial Mai 68, avec les 3 numéros du Canard de Les Blondes (20.000 ex. chacun) et un comics consacré à World of WarCraft (10.000 ex.).
Même en librairie, la bédéphilie n’est pas suffisamment soutenue : la lassitude et l’âge des bénévoles qui l’animaient ont eu raison du Collectionneur de Bandes Dessinées, après 30 ans au service du 9e art. Il ne reste plus que 11 magazines érudits (ils étaient 13 en 2007) : L’Avis des Bulles, Comix Club, Gabriel, Hop !, Neuvième Art, On a marché sur la bulle, Papiers Nickelés et Pimpf Mag. Seuls les gratuits obtiennent une certaine lisibilité : tels Zoo (94.000 ex.) ou Le Magazine Album et Canal BD Magazine (50.000 ex.) avec leur Manga Mag (30.000 ex.).
Quant aux 12 revues publiant des bandes dessinées et qui sont diffusées partiellement en librairies (Black, BlackMamba, Blam !, Café Creed, Gorgonzola, L’Inédit, Jade, La Maison qui pue, Mollusk, Le Muscle Carabine…), elles dépassent rarement les 1000 ex., hormis le blog sur papier El Coyote (tiré à 3000 ex. par Le Cycliste) ou le nouveau bimestriel d’humour Le Strip (publié à 15.000 ex. par les éditions du Lombard).
Si 413 albums ont été prépubliés dans les magazines (soit 11,63% des nouveautés, contre 395 et 11,92% en 2007) et si les quotidiens Le Monde, Le Figaro ou Le Soir ont proposé, à nouveau, des ventes couplées avec albums, au total, ces supports papiers ancestraux de la bande dessinée ne sont plus que 71 (contre 77 en 2007) !
Il est vrai qu’aujourd’hui, les amateurs ont toute l’information souhaitée sur les 46 (32 en 2007) sites généralistes sur le 9e art, lesquels sont de plus en plus consultés et bien documentés : à l’instar de actuabd.com, auracan.com, bdgest.com, bdzoom.com, labd.cndp.fr et wartmag.com… pour ne citer que les plus performants sur le plan de l’information et de la critique.
La création est donc bien présente sur Internet (même si elle n’est pas vraiment rémunérée) et certains éditeurs se spécialisent dans la reprise papier des expériences virtuelles : tels Ange, Foolstrip, La Fourmilière, Kantik, Onaprut… Il est clair que l’avenir est sur la toile et, déjà, éditeurs, festivals et libraires ont tous un site pour vanter leurs mérites : fin 2008, les sites lekiosque.fr puis relay.com se sont même lancé dans la vente de bandes dessinées sur support numérique, Les Humanoïdes associés ont misé sur Humano Online (un journal en ligne totalement gratuit), et il existe aussi des webmagazines comme le nostalgique et passionné Période Rouge.
VII – CONSÉCRATIONS ET MÉDIATISATION
201 œuvres datant de plus de 20 ans ont été rééditées ; et de plus en plus d’auteurs de bande dessinée, parmi les 1416 qui vivent de leur métier sur le territoire francophone européen, obtiennent régulièrement l’honneur des médias.
Et c’est cette nostalgie et cette passion qui permettent de rééditer les œuvres des auteurs classiques. Certaines ne survivent que grâce à de toutes petites structures (Amis de Le Rallic, Amis de Trubert, ANAF, Ananké, Bague à Tel, Le Coffre à BD, Le Cousin Francis, L’Élan, Hibou, F. Maye, Pan Pan, Regards, Taupinambour, Triomphe ou La Vache qui médite) qui les publient à un nombre très réduit. Ces éditeurs réalisent pourtant un phénoménal travail de transmission aux générations futures : travail qui devrait être mieux considéré ! Grâce à eux, des auteurs, souvent seulement connus des amateurs, ne tomberont pas dans l’oubli : d’autant plus que ceux-ci sont rarement célébrés dans les 67 livres écrits sur le 9e art (dont 34 monographies et 10 guides pratiques) en 2008 ! Signalons aussi, à ce propos, l’énorme entreprise du site bdoubliees.com qui tente de recenser les bandes parues dans les magazines.
Par ailleurs, de plus en plus de maisons d’édition moins artisanales entretiennent, elles aussi, le patrimoine francophone du 9e art avec le respect qui lui est dû : c’est le cas de L’Association, Casterman, Champaka, Dupuis, Dynamite, Flouzemaker, Glénat, Graton, Le Lombard ou Vents d’Ouest. Au final, en cette année des 100 ans des Pieds Nickelés, des 70 ans de Spirou, de Tif et Tondu et de Pat Apouf, des 60 ans de Pif, de Placid et Muzo, d’Hassan et Kadour et d’Alix, ou encore des 50 ans des Schtroumpfs, 201 titres datant de plus de 20 ans, inédits ou introuvables (soit 5,6% des nouveautés, contre 128 et 3,86% en 2007) ont été édités en album.
Ce chapitre est aussi l’occasion de saluer les personnalités francophones (10 créateurs et 6 grands spécialistes du secteur) dont la profession a appris les disparitions en 2008, souvent avec beaucoup de retard :
– Pierre Dhombre : scénariste pour les productions chrétiennes des éditions Fleurus, Univers Média, Le Signe…
– Carlo Raffaele Marcello : dessinateur italien ayant beaucoup travaillé pour la France (Docteur Justice…)
– Claude Faraldo : cinéaste et scénariste de Georges Pichard
– Stéphane Péru : jeune dessinateur des éditions Semic et Soleil, décédé à l’âge de 26 ans
– Raymond Leblanc : éditeur et fondateur du journal Tintin et des éditions du Lombard
– Maurice Maréchal : créateur de Prudence Petitpas
– Ludovic Joffrain : dessinateur des Looney Tunes et rédacteur en chef des publications Warner France
– Martin Berthommier : dessinateur et scénariste de la série Touffu chez Bayard
– Francis Lacassin : spécialiste de littérature populaire et co-fondateur du premier club BD en France
– Jacques Fiérain : auteur de plusieurs livres consacrés aux auteurs habitant une province belge spécifique
– Raymond Macherot : mythique créateur de Chlorophylle, Clifton, Chaminou et Sibylline
– Tania Vandesande : elle avait ouvert la toute première librairie de bande dessinée à Bruxelles (Pepperland)
– François Caradec : biographe érudit en littérature et spécialiste français des prémices du 9e art
– Guy Peellaert : dessinateur inspiré par le mouvement pop art (Jodelle et Pravda la surviveuse)
– Gérard Lauzier : célèbre auteur des Tranches de vie, réalisateur de films et dramaturge
– Solo (alias François Solot) : caricaturiste virtuose et auteur du Dico Solo recensant tous les dessinateurs de presse
Pourtant, de plus en plus d’auteurs francophones sont présents sur le marché : en 2008, ils étaient 1495 à publier un nouvel album, alors qu’ils ne sont que 1416 (contre 1357 en 2007) à vivre de ce mode d’expression : 151 sont des femmes, soit 10,66% – pour 137 et 10,09% en 2007 –, et 248 sont scénaristes sans être également dessinateurs, soit 17,51% – pour 232 et 17,09% en 2007. La plupart d’entre eux survivent dans un contexte de plus en plus difficile : au moins 3 albums disponibles et un contrat en cours ou un travail régulier pour la presse sont nécessaires à un salaire moyen. Ceci alors qu’une nouvelle génération s’apprête à sortir des écoles, qu’une autre se fait les dents sur le web, et que les éditeurs classiques ont beaucoup de mal à trouver de bons dessinateurs réalistes : d’où l’emploi de graphistes italiens, espagnols ou ex-yougoslaves, lesquels pratiquent encore, massivement, cette discipline.
On pourrait croire que ces auteurs qui ont fait ou qui feront l’histoire de la bande dessinée francophone sont peu médiatisés. Or, les mises en valeur du travail des auteurs par les éditeurs et le va-et-vient incessant entre les supports leur assurent une meilleure visibilité dans les médias généralistes. Les journalistes sont de plus en plus nombreux à parler du 9e art dans la presse écrite, audiovisuelle, nationale et régionale, ou pour les nouvelles technologies ; même s’il reste beaucoup à faire quant à la régularité, la quantité et la qualité des contenus.
Promouvoir cette information dans les médias et réunir les personnes qui traitent régulièrement de bandes dessinées est le but principal de l’ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) et de ses 81 membres, lesquels remettent, tous les ans, le Grand Prix de la Critique à un album remarquable paru dans l’année. En 2008, il a été décerné à Tamara Drewe de Posy Simmonds chez Denoël Graphic.
Aujourd’hui, le 9e art a donc acquis une véritable reconnaissance culturelle : d’ailleurs, 1 livre acheté sur 8 et 1 ouvrage emprunté sur 5 dans les bibliothèques est une bande dessinée !
BILAN TÉLÉCHARGEABLE AVEC ANNEXES
Télécharger au format PDF le Bilan 2008 de l’ACBD et ses nombreuses annexes :
N.B. : la moindre utilisation de ces données ou d’une partie d’entre elles doit être obligatoirement suivie suivie de la mention : © Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée).
Merci à mes amis de l’ACBD : Jérôme Briot, Virginie François, Patrick Gaumer, Philippe Guillaume, Brieg F. Haslé, Ariel Herbez, Jean-Christophe Ogier, Fabrice Piault, Denis Plagne et Laurent Turpin.
Merci aux attachés de presse ou responsables éditoriaux qui nous ont communiqué les chiffres des tirages : Patrick Abry, Ahmed Agne, Sébastien Agogué, Patrick Apel-Muller, Jérôme Aragnou, Agnès Bappel, Marlène Barsotti, Maud Beaumont, Pol Beauté, Stéphanie de Bellefroid, Frédéric Bosser, Marine Bourgeay, Sonia Brindejonc, Elise Brun, Alain Cahen, Sophie Caïola, Anne Caisson, François Capuron, Paul Carali, Sylvie Chabroux, Jérôme Chélim, Bénédicte Cluzel, Fred Coconut, Evelyne Colas, Franck Coste, Bernard Coulange, Benjamine des Courtils, Alexandre Coutelis, Daniel Coyne, Loïc Dauvillier, François Defaye, Kathy Degreef, Sylvie Duvelleroy, Serge Ewenczyk, Marie Fabbri, Mona Fatouhi, Benoit Frappat, Virginie Garcia, Vincent Henry, Philippe Hillaire, Marc Impatient, Michel Jans, Bernard Joubert, José Jover, Coralie Jugan, Emmanuelle Klein, Jean-Charles Lajouanie, Emeline Lautier, Nicolas Lebedel, Jean-François Lécureux, Pierre Léoni, Alix Lepinay, Christine Leriche, Caroline Longuet, Xavier Lowenthal, Maly Mann, Philippe Marcel, Marie Moinard, Philippe Morin, Laurent Muller, Frédéric Niffle, Guillaume Pahlawan, Laure Peduzzi, Lydie Pham, Arnaud Plumeri, Mathieu Poulhalec, Cécile Pournin, Diane Rayer, Fabienne Reichenbach, Estelle Revelant, Florence Richaud, Louise Rossignol, Laurent Sainrau, Richard Saint-Martin, Sophie de Saint-Blanquat, Aurélie Streiff, Fabien Sturm, Thierry Taburiaux, Thierry Tinlot, Frédéric Vidal, Marie-Thérèse Vieira, Hélène Werlé ; et Didier Pasamonik pour ses conseils.